Einstein

Publié le par Gerald

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Einstein, la Bombe et le FBI

Jean Pestieau
16 août 2005


Albert Einstein (1879-1955) a été le physicien le plus important du 20e siècle par les découvertes révolutionnaires qu'il a accomplies entre 1905 et 1925 [1]. Résident aux Etats-Unis de 1933 à 1955, son prestige n'a fait que s'amplifier dans le grand public, non seulement par sa renommée scientifique mais toujours plus par ses prises de position et actions dans le domaine politico-moral. Ici, nous allons considérer (l'évolution de) la position d'Einstein vis-à-vis de l'armement nucléaire des Etats-Unis entre 1939 et 1955.


En même temps, par son combat anti-fasciste et anti-raciste et surtout par son rejet clair et net de l'anticommunisme couplé à son opposition déterminée à l'armement nucléaire des Etats-Unis, Einstein est devenu, après 1945, la bête noire de Edgar Hoover, le maître du FBI, la Police fédérale des Etats-Unis. Celui-ci avait fait constituer un dossier secret contre Einstein de 1800 (mille huit cent) pages [2] afin de pouvoir le discréditer, voire le faire expulser des Etats-Unis !


1939: Einstein réclame la construction de la Bombe nucléaire . Pourquoi?


Pendant la 1 e guerre mondiale, alors en Allemagne, Einstein avait résolument rejeté la guerre qui n'était qu'une vaste boucherie des peuples. Il s'était mis à dos les bellicistes de tout poil. C'était un pacifiste.


Mais, avec la montée de l'agressivité fasciste et surtout avec la prise du pouvoir du nazisme en Allemagne en 1933, sa position change: il faut résister au fascisme par les armes.


Pendant la guerre d'Espagne (1936-1939), il prend nettement parti pour le camp républicain espagnol contre le camp fasciste de Franco. Il est un ardent partisan de la brigade internationale US, la Brigade Abraham Lincoln - organisée par les communistes - qui était partie se battre en Espagne du côté républicain.


Franco prend le pouvoir en 1939 parce qu'il a reçu l'aide militaire de Mussolini et Hitler tandis que les grandes puissances occidentales (France, Royaume-Uni et Etats-Unis) laissaient faire tout en empêchant les Républicains d'être soutenus pleinement par les communistes et les antifascistes du monde entier. Le 10 novembre 1938, c'est la « Nuit de Cristal » en Allemagne où trente mille Juifs sont arrêtés et envoyés dans les camps de concentration de Dachau, Oranienburg-Sachsenhausen et Buchenwald. Là, ils rejoignirent des communistes, des syndicalistes, des socialistes et autres antifascistes. Fin 1938, les Nazis ont la Tchécoslovaquie dans leur main. La France, le Royaume-Uni et les Etats-Unis ne lèvent même pas le petit doigt.


En même temps, d'éminents physiciens nucléaires savent, à partir des découvertes (fission nucléaire et possibilité des réactions en chaîne) faites à la fin 1938, notamment en Allemagne, qu'il est en principe possible de concevoir une bombe nucléaire des milliers de fois plus puissantes qu'une bombe classique. Einstein est alarmé d'autant plus qu'il vient d'apprendre que l'uranium extrait des mines de Tchécoslovaquie est retiré de la vente et est retenu par l'Allemagne. Il en conclut logiquement qu'il ne faut pas laisser l'exclusivité de l'arme nucléaire aux Nazis.


Il est hanté par la question : jusqu'où les Etats-Unis laisseront-ils faire l'Allemagne d'Hitler ? C'est ainsi que le 2 août 1939, Einstein envoie une lettre au président des Etats-Unis, Roosevelt, afin de le persuader de mettre en oeuvre un programme de développement d'une bombe nucléaire avant que les Allemands ne construisent la leur. Ce n'est que le 3 octobre que Roosevelt reçoit la lettre d'Einstein. Devant le peu de réaction , Einstein envoie une nouvelle lettre alarmante au président Roosevelt le 7 mars 1940. Ce n'est qu'en octobre 1941 – les Etats-Unis ne sont entrés dans la deuxième Guerre mondiale qu'en décembre 1941 - que Roosevelt donne son feu vert pour le lancement du programme nucléaire.


L'Administration étasunienne n'a pas une position antifasciste ferme durant la deuxième Guerre mondiale. Einstein en est morfondu. En septembre 1942, par exemple, au début de la bataille de Stalingrad, il écrit : « Pourquoi Washington a-t-il aidé à étrangler l'Espagne loyaliste [républicaine] ? Pourquoi a-t-il un représentant officiel dans la France fasciste ?(…) Pourquoi garde-t-il des relations avec l'Espagne franquiste ? Pourquoi aucun effort n'est fait pour aider la Russie qui en a le plus grand besoin ? Ce gouvernement est largement contrôlé par des financiers dont la mentalité est proche de l'état d'esprit fasciste. Si Hitler n'était pas en plein délire, il aurait pu avoir de bonnes relations avec les puissances occidentales » [3]


Lorsque le mastodonte nazi qui semblait imbattable est stoppé à Stalingrad, Einstein déclare  : « Sans la Russie, ces chiens sanguinaires allemands auraient atteint leur but ou, en tout cas, en seraient proches. (…) Nos enfants et nous avons une énorme dette de gratitude envers le peuple russe qui a enduré tant d'immenses pertes et de souffrances .


La manière dont (la Russie) a mené sa guerre a prouvé son excellence dans tous les domaines de l'industrie et de la technique. (…). Dans le sacrifice sans compter et l'abnégation de chacun, je vois une preuve d'une détermination générale à défendre ce qu'ils ont gagné (…) finalement, un fait qui revêt une importance particulière à nos yeux, à nous les Juifs. En Russie, l'égalité de tous les peuples et de tous les groupes culturels n'est pas qu'une parole en l'air: elle existe vraiment dans la réalité. (…)» [4]


Pourquoi Einstein est-il écarté du programme de mise au point de la Bombe ?


Einstein a été écarté du programme de développement des premières bombes nucléaires non pas d'abord parce qu'il était considéré par le FBI et les autorités militaires US comme un anti-fasciste prônant amitié et aide à l'URSS. En effet, plusieurs physiciens de premier plan qui ont travaillé à la bombe, avaient les mêmes positions politiques qu'Einstein. Sans eux, la Bombe n'aurait pu être mise au point en un temps record.


Un autre argument avancé par un des principaux responsables de la mise au point de la Bombe, Hans Bethe (Prix Nobel de physique 1967), est qu' « on avait besoin d'experts en physique nucléaire et en explosifs. Einstein, bien qu'il soit le plus grand physicien du siècle n'a jamais travaillé dans ses domaines » [5] Cet argument ne tient guère car Einstein, à la même époque, a résolu plusieurs problèmes dans le domaine des explosifs classiques pour la Marine US.


La vérité est que le FBI et les autorités militaires soupçonnaient, à juste titre, qu'Einstein ne voulait la Bombe US que pour une seule raison : ne pas permettre à Hitler de terroriser le monde entier avec sa Bombe à lui. Autrement, Einstein était contre la Bombe. Si Einstein avait été membre de l'équipe qui a mis au point les premières bombes nucléaires, avec son énorme prestige, il aurait pu mettre à mal le projet d'utiliser la Bombe à d'autres fins que celle de défier la possible Bombe de Hitler. Quand, à la fin 1944, il est apparu que Hitler n'avait pas la Bombe, plusieurs scientifiques anti-fascistes qui travaillaient à la mise au point de la Bombe US ont demandé qu'elle ne soit pas utilisée contre le Japon ou contre tout autre pays. Mais ils étaient subjugués et conditionnés par leurs dirigeants militaires. Ils n'ont pas été au-delà de la protestation intellectuelle Ils ont continué à travailler. Seul le physicien nucléaire britannique, J Rotblat (Prix Nobel de la Paix en 1995), a eu le courage de ne plus collaborer au projet. Si Einstein avait fait partie de l'équipe, il aurait pu mettre à mal les projets de l'Administration US, du FBI et de l'Armée US. Aussi, Einstein a été laissé dans une quasi ignorance de la mise au point de la Bombe jusqu'au bombardement d'Hiroshima (6 août 1945) et de Nagasaki (9 août 1945).


Einstein, après Hiroshima et Nagasaki


Einstein condamna immédiatement le bombardement nucléaire du Japon, l'attribuant à la politique étrangère antisoviétique du Président Truman qui, en avril 1945, avait remplacé le Président Roosevelt décédé. Pendant la guerre, il avait soutenu avec enthousiasme l'alliance de Roosevelt avec Moscou contre le nazisme [6].


En mai 1946, se constitue le « Comité d'urgence des scientifiques atomistes » (Emergency Committee of Atomic Scientists – ECAS). Son but est d'abord de récolter des fonds pour d'autres groupes antinucléaires. A l'exception d'Einstein, tous les membres de l'ECAS ont travaillé à la construction de la Bombe. Parmi eux, les prix Nobel, Harold Urey, Linus Pauling, Hans Bethe. L'appui de l'opinion étasunienne à l'arme nucléaire, mal assuré dès le départ, décline considérablement au cours des deux années qui suivent Hiroshima. En octobre 1947, un sondage Gallup montre que la tendance en faveur de la bombe était tombée de 69% en 1945 à 55%, et que le sentiment antinucléaire avait plus que doublé, passant de 17% à 38%.[7]


Le 23 juin 1946, Einstein déclare au New York Times : « De nombreuses personnes dans d'autres pays regardent maintenant l'Amérique avec une grande méfiance, non seulement à cause de la bombe mais parce qu'elles craignent qu'elle ne devienne impérialiste ; (…) Nous continuons à fabriquer des bombes (atomiques), et les bombes fabriquent la haine et la défiance. Nous gardons les secrets (de la fabrication de la bombe) et les secrets nourrissent la méfiance » .


A partir du début de la Guerre froide (1946), l'hystérie anticommuniste et la chasse aux sorcières n'a cessé de croître, alimentée notamment par l'annonce surprenante en 1949 de ce que l'URSS possédait également la Bombe et par la Guerre de Corée (1950 – 1953). Qui est contre l'arme nucléaire est immédiatement soupçonné de travailler contre les Etats-Unis.


Le 12 février 1950, Einstein apparaît à la TV où il met en garde contre la mise au point de la bombe à hydrogène (appelée aussi bombe H ou bombe thermonucléaire) par les Etats-Unis. Il déclare qu'elle sera mille fois plus destructrice que la bombe atomique.[8]. Cette émission fait entrer en fureur les anticommunistes bellicistes US comme Edgar Hoover.


C'est en 1952 que la bombe à hydrogène sera testée par les Etats-Unis. L'URSS suivra en 1953, à la stupeur des Etats-Unis. La prétention étasunienne d'avoir droit absolu de vie et de mort nucléaire sur le monde avait vécu. Mais la virulence anticommuniste avait de belles années devant elle.


Le 10 mars 1954, Einstein – âgé de 75 ans - écrit à ce sujet  : « A mes yeux, la ‘'conspiration communiste'' est surtout un slogan (…) qui rend (les gens) totalement sans défense. A nouveau, je suis bien obligé de repenser à l'Allemagne de 1932, dont le corps social démocratique avait déjà été affaibli par des moyens similaires, de sorte que (…) Hitler eut très facilement la possibilité de lui asséner son coup fatal. Je suis de même convaincu que celui-ci suivra le même chemin, à moins que des gens avisés et capables de sacrifice viennent le défendre » [8]


Le 28 mars 1954, il écrit à la reine Elisabeth de Belgique: «Je suis devenu une sorte d'enfant terrible dans ma nouvelle patrie, cela à cause de mon incapacité à garder le silence et à avaler tout ce qui se passe ici. De plus, j'estime que les personnes plus âgées qui n'ont quasiment rien à perdre devraient avoir envie de s'exprimer en faveur des jeunes et de ceux qui sont soumis à de bien plus grandes contraintes. J'aime penser que cela puisse les aider» [9]


Einstein s'inquiète de la manière dont la plupart des intellectuels occidentaux restent sans réagir à la fois devant l'Histoire et devant le reste du monde: «  Rien ne m'étonne autant que le fait que la mémoire de l'homme soit si courte quand il s'agit d'événements politiques » (Lettre à la reine Elisabeth de Belgique, 2 janvier 1955) [10]


Juste, avant sa mort (18 avril 1955), il signe le célèbre Manifeste pour la paix Russell-Einstein (voir annexe).


Note  : Le terme « bombe atomique » a été mis sur le marché, en 1945, par les militaires US pour la faire accepter par l'opinion publique. Le terme exact est en fait « bombe nucléaire » mais il paraissait trop rébarbatif !


[1] Jean Pestieau et Jean-Pierre Kerckhofs, Einstein, "La personnalité du 20e siècle" , 7 mars 2005,
http://www.ecoledemocratique.org/article.php3?id_article=249 - 42k.


[2] Fred Jerome, "Einstein … Un traître pour le FBI. Les secrets d'un conflit" ,

Editions Frison-Roche, Paris, 2005. La lecture de ce livre est particulièrement recommandée.


Fred Jerome, The Einstein File: J. Edgar Hoover's Secret War Against the World's Most Famous Scientist , St. Martin 's Griffin Edition, New York , 2003, http://www.theeinsteinfile.com/


[3] Fred Jerome, "Einstein … Un traître pour le FBI. Les secrets d'un conflit" , p.58


[4] ibidem, p.175


[5] ibidem, p.70


[6] ibidem, p.80


[7] ibidem, p.87


[8] ibidem, p.179


[9] ibidem, p.282


[10] ibidem, p.178


Jean Pestieau est professeur de physique à l'Université catholique de Louvain,


Annexe  


Le manifeste Russell - Einstein


Dans la situation dramatique où se trouve l'humanité, nous estimons que les hommes de science devraient se réunir en conférence pour prendre la mesure des périls créés par le développement d'armes de destruction massive et examiner un projet de résolution dont l'esprit serait celui du projet ci-dessous.


Ce n'est pas au nom d'une nation, d'un continent ou d'une foi en particulier que nous prenons aujourd'hui la parole, mais en tant qu'êtres humains, en tant que représentants de l'espèce humaine dont la survie est menacée. Les conflits abondent partout dans le monde…


Chacun d'entre nous, ou presque, pour peu qu'il soit politiquement conscient, a des opinions bien arrêtées sur l'une ou plusieurs des questions qui agitent le monde; nous vous demandons toutefois de faire si possible abstraction de vos sentiments et de vous considérer exclusivement comme les membres d'une espèce biologique qui a derrière elle une histoire exceptionnelle et dont aucun d'entre nous ne peut souhaiter la disparition.


Nous nous efforcerons de ne rien dire qui puisse constituer un appel à un groupe plutôt qu'à l'autre. Tous les hommes sont également en danger, et peut-être, s'ils en prennent conscience, parviendront-ils à s'y soustraire collectivement.


Il nous faut apprendre à penser d'une façon nouvelle. Il nous faut apprendre à nous demander non pas de quelle façon assurer la victoire militaire du groupe auquel vont nos préférences, car cela n'est plus possible, mais comment empêcher un affrontement militaire dont l'issue ne peut qu'être désastreuse pour tous les protagonistes.


Le grand public, et beaucoup parmi ceux qui exercent le pouvoir, n'ont pas pleinement saisi ce qu'impliquerait une guerre nucléaire. Le grand public raisonne encore en termes de villes anéanties. Il sait que les nouvelles bombes sont plus puissantes que les anciennes, et que si une bombe A a suffi à rayer Hiroshima de la carte, une seule bombe H pourrait en effacer les principales métropoles : Londres, New York ou Moscou.


Il est certain que dans une guerre au cours de laquelle la bombe H serait utilisée, les grandes villes disparaîtraient de la surface de la terre. Mais ce n'est là qu'un des moindres désastres que subirait l'humanité. Même si la population entière de Londres, New York et Moscou était exterminée, l'univers pourrait, en quelques siècles, reprendre le dessus. Mais nous savons désormais, en particulier depuis l'essai de Bikini, que l'effet destructeur des bombes nucléaires peut s'étendre à une zone beaucoup plus vaste qu'on ne l'avait cru au départ.


On sait de source autorisée qu'il est désormais possible de fabriquer une bombe 2500 fois plus puissante que celle qui détruisit Hiroshima. Une telle bombe, explosant près du sol ou sous l'eau, projette des particules radio-actives jusque dans les couches supérieures de l'atmosphère. Ces particules retombent lentement sur la surface de la Terre sous forme de poussière ou de pluie mortelles. C'est cette poussière qui a contaminé les pêcheurs japonais et leurs prises.


Nul ne sait jusqu'où s'étendrait ce nuage mortel de particules radio-actives, mais les personnalités les plus autorisées sont unanimes à dire qu'une guerre au cours de laquelle seraient utilisées des bombes H pourrait fort bien marquer la fin de la race humaine. Ce que l'on redoute, c'est, si plusieurs bombes H sont utilisées, que tous les hommes trouvent la mort, mort soudaine pour une minorité seulement, mais la lente torture de la maladie et de la désintégration pour la majorité.


Les avertissements n'ont pas manqué de la part des plus grands savants et spécialistes de la stratégie militaire. Aucun d'entre eux ne va jusqu'à affirmer que le pire est certain. Ce qu'ils affirment, c'est que le pire est possible et que nul ne peut dire qu'il ne se produira pas. Nous n'avons jamais constaté que l'opinion des experts sur ce point dépende en aucune façon de leurs opinions politiques ou de leurs préjugés. Elle ne dépend, pour autant que nos recherches nous permettent de l'affirmer, que de ce que chaque expert sait. Ce que nous avons constaté, c'est que ceux qui en savent le plus sont les plus pessimistes.


Tel est donc, dans sa terrifiante simplicité, l'implacable dilemme que nous vous soumettons : allons-nous mettre fin à la race humaine, ou l'humanité renoncera-t-elle à la guerre? Si les hommes se refusent à envisager cette alternative, c'est qu'il est fort difficile d'abolir la guerre.


L'abolition de la guerre exigera des limitations déplaisantes de la souveraineté nationale. Mais ce qui plus que tout empêche peut-être une véritable prise de conscience de la situation, c'est que le terme "humanité" est ressenti comme quelque chose de vague et d'abstrait. Les gens ont du mal à s'imaginer que c'est eux-mêmes, leurs enfants et petits-enfants qui sont en danger, et non pas seulement une humanité confusément perçue. Ils ont du mal à appréhender qu'eux-mêmes et ceux qu'ils aiment sont en danger immédiat de mourir au terme d'une longue agonie. Et c'est pourquoi ils espèrent que la guerre pourra éventuellement continuer d'exister, pourvu que l'on interdise les armements modernes.


C'est là un espoir illusoire. Quels que soient les accords sur la non-utilisation de la bombe H qui auraient été conclu en temps de paix, ils ne seraient plus considérés comme contraignants en temps de guerre, et les deux protagonistes s'empresseraient de fabriquer des bombes H dès le début des hostilités; en effet, si l'un d'eux était seul à fabriquer des bombes et que l'autre s'en abstenait, la victoire irait nécessairement au premier.


Un accord par lequel les parties renonceraient aux armes nucléaires dans le cadre d'une réduction générale des armements ne résoudrait pas le problème, mais il n'en serait pas moins d'une grande utilité. En premier lieu, en effet, tout accord entre l'Est et l'Ouest est bénéfique dans la mesure où il concourt à la détente. En deuxième lieu, la suppression des armes thermonucléaires, dans la mesure où chacun des protagonistes serait convaincu de la bonne foi de l'autre, diminuerait la crainte d'une attaque soudaine dans le style de celle de Pearl Harbour, crainte qui maintient actuellement les deux protagonistes dans un état de constante appréhension nerveuse. Un tel accord doit donc être considéré comme souhaitable, bien qu'il ne représente qu'un premier pas.


Nous ne sommes pas pour la plupart neutres dans nos convictions, mais en tant qu'êtres humains, nous devons nous rappeler que, pour être réglées à la satisfaction de qui que ce soit, communistes ou anti-communistes, Asiatiques, Européens ou Américains, Blancs ou Noirs, les difficultés entre l'Est et l'Ouest ne doivent pas l'être par la guerre. Nous devons souhaiter que cela soit compris, tant à l'Est qu'à l'Ouest.


Il dépend de nous de progresser sans cesse sur la voie du bonheur, du savoir et de la sagesse. Allons-nous, au contraire, choisir la mort parce que nous sommes incapables d'oublier nos querelles? L'appel que nous lançons est celui d'êtres humains à d'autres êtres humains : rappelez-vous que vous êtes de la race des hommes et oubliez le reste. Si vous y parvenez, un nouveau paradis est ouvert; sinon, vous risquez l'anéantissement universel.


Résolution


Nous invitons le présent congrès et, par son intermédiaire, les hommes de science du monde entier et le grand public, à souscrire à la résolution suivante :


Compte tenu du fait qu'au cours de toute nouvelle guerre mondiale les armes nucléaires seront certainement employées et que ces armes mettent en péril la survie de l'humanité, nous invitons instamment les gouvernements du monde à comprendre et à admettre publiquement qu'ils ne sauraient atteindre leurs objectifs par une guerre mondiale et nous leur demandons instamment, en conséquence, de s'employer à régler par des moyens pacifiques tous leurs différends.


Le 23 décembre 1954


Ce texte a été signé par :


Professeur Max Born (professeur de physique théorique à Berlin, Francfort et Göttingen, et professeur de philosophie de la nature à Édimbourg; Prix Nobel de physique)


Professeur P.W. Bridgman (professeur de physique, Harvard University; Prix Nobel de physique)


Professeur Albert Einstein


Professeur L. Infeld (professeur de physique théorique, Université de Varsovie)


Professeur J.F. Joliot-Curie (professeur de physique au Collège de France; Prix Nobel de chimie)


Professeur H.J. Muller (professeur de zoologie, University of Indiana; Prix Nobel de physiologie et de médecine)


Professeur Linus Pauling (professeur de chimie, California Institute of Technology; Prix Nobel de chimie)


Professeur C.F. Powell (professeur de physique, Bristol University; Prix Nobel de physique)


Professeur J. Rotblat (professeur de physique, University of London; Medical College of St Bartholomew's Hospital)


Bertrand Russell


Professeur Hideki Yukawa (professeur de physique théorique, Université de Kyoto; Prix Nobel de physique)


http://radio-canada.ca/par4/_Notas/manifeste_russell_einstein.htm

http://www.asts.asso.fr/site/art.php?id=254

http://www.asts.asso.fr/site/art.php?id=252

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