Jeux truqués

Publié le par Gerald

L'émission Capital du 5 février propose un numéro entier consacré aux jeux d'argent.
Parmi eux, les jeux de grattage, qui ont connu un développement exponentiel ces dernières années.
Lancement de Guy Lagache : « La Française des jeux est une entreprise publique, d'ailleurs, près de 30% de ses recettes, soit 2 milliards et demi d'euros vont chaque année dans les caisses de l'Etat. De la conception jusqu'à la vente, vous allez découvrir le business qui se joue derrière ces tickets. Et puis, que l'on gagne ou que l'on perde, est-ce toujours le fruit du hasard ? »

Mais qui est Robert Riblet ?

Petit retour en arrière. Dans le JDD du même jour, un certain Robert Riblet apporte la soi-disant preuve que le Vegas (le jeu de grattage phare) n'est pas soumis aux seules lois du hasard. Ce Monsieur Propre, qui chasse l'injustice partout où elle se terre, a acheté un carton contenant 100 carnets, ou bandes, comportant chacun 50 tickets à 3 euros. Le tout pour 15 000 euros. Ouvrant et grattant chaque bande, Riblet arrive à de drôles de conclusions : selon lui, dès lors qu'un gagnant à 20 euros est sorti dans une bande, il n'y a plus aucune chance de trouver un autre gagnant à 20 euros ou plus. Par ailleurs, la somme des petits lots (inférieurs à 20 euros) équivaut très exactement, pour chaque bande de 50 tickets, à 50 euros, soit un tiers de la somme ! Drôle de hasard, qui se distribue aussi régulièrement. Tout ceci n'aurait aucune importance, si ces résultats pas très aléatoires, donc relativement prévisibles, n'avaient aucune conséquence sur le comportement d'achat des clients… et de vente des buralistes. Qui touchent, en passant, 5% par ticket vendu. Et 6 millions de ces espoirs de gains sont grattés chaque jour…

« La Française des Jeux est la plus rentable des entreprises publiques. A chaque fois que vous jouez, un tiers de ce que vous dépensez est reversé à l'Etat. A l'arrivée des sommes considérables, chaque année 2 milliards 300 millions d'euros tombent dans les caisses publiques, l'équivalent de la moitié du budget de la justice. »

Car, et c'est ce que les enquêteurs de Capital découvrent, certains buralistes sont au courant de la « combine », et modifient leur comportement de vente. Ainsi, un buraliste qui a déjà vendu 46 tickets à gains inférieurs à 20 euros sur un carnet de 50, sait qu'il y aura très probablement un gagnant à 20 (pour 3 euros investis) dans les 4 restants. Alors soit il se met la souche de côté, comme un petit avantage corporatiste, soit il la vend à ses « bons » clients. Le bon client, s'il gagne régulièrement, revient chez le même buraliste… pour consommer du jeu. Le « mauvais » client achetant du ticket en ignorant qu'il a beaucoup moins de chances de gagner !

La Française des Jeux ne rigole plus

Contactée par Riblet, la FDJ a commencé par nier, comme il se doit. Sur leur site, il est stipulé que les lots sont distribués de manière absolument aléatoire.

Dans un deuxième temps, devant les évidences et la plainte au tribunal de Nanterre pour tricherie – Riblet, défendu par l'inévitable Me Collard, réclame 2 ME - la Française concède que « ce n'est plus que du hasard prépondérant ».

Traduction ? On s'arrange pour qu'il y ait un minimum de petits lots (rendant les joueurs accros), mais pas trop de gros lots dans un même carnet, confirmant la notion « d'étalement ». Se basant sur le cas de la ville italienne de Bergame, où trop de gros lots sortis dans un même carnet avaient provoqué une distorsion régionale… Les clients nationaux refusant ensuite d'acheter des jeux ailleurs !

L'affaire étant sérieuse, la Française des Jeux propose 300 000 euros à Riblet, non pas comme prix de son silence, mais officiellement pour récompenser ceux qui découvrent une faille dans le système, un peu comme ces pirates qui sont embauchés par les boîtes informatiques qu'ils ont hackées… Refus de Riblet, qui de toute façon n'a pas besoin d'argent. Il est riche, et son investissement de 15 000 euros dans les bandes ne l'a pas mis sur la paille.

Riblet gratte là où ça fait mal


Truqués ?

Ainsi, le petit calcul de Riblet sur 100 bandes a suffi à mettre le doigt sur une faille algorithmique à la Française des Jeux. Les journalistes de Capital ont été chercher de « grosses têtes » issues de l'X ou de Normale Sup, qui sont des spécialistes du calcul de probabilité. Selon eux, l'échantillon de 100 bandes utilisé par Riblet suffit à affirmer que la distribution de tous les lots FDJ ne sont pas soumis à un sort aléatoire. En gros, que les dés sont pipés. Le hasard étant programmé, les petits malins au courant profitent du système et le dévoient. Un véritable délit d'initiés !

Voici ce qu'en dit le reportage : « Alors hasard ou pas hasard, le directeur va nous donner l'explication en nous révélant un point important, effectivement les jeux de grattage ne sont pas complètement des jeux de hasard. »

Le Directeur du marketing de la FDJ : « Une répartition minimale des petits lots et éviter des répartitions maximales des gros lots dans les livrets, ce qui est permis, conforme aux textes qui régissent nos activités, le hasard doit être prépondérant dans notre activité mais forcément exclusif. »

Effectivement, sur le site de la FDJ, un décret reconnaît ce fameux « hasard prépondérant », notion très ambiguë qui fait rire les mathématiciens contactés. Qui ont d'ailleurs prouvé que si le sort était aléatoire, la proportion de gros tickets gagnants ne serait pas de 3%, comme elle l'est actuellement, mais de 18% !

Censure à Capital

Venons-en à l'affaire dans l'affaire. Capital monte un sujet de 30 minutes à partir de cette grosse ambiguïté, avec interviewes de Riblet et des buralistes « truqueurs ». Mais, ô surprise, à l'antenne, on ne découvre qu'un sujet de 20 minutes bien désossé, c'est-à-dire sans les témoignages de la dizaine de buralistes : « Moi ça fait 15 ans que je fais ça, j'ai jamais vu un deuxième lot sortir », ou « Quand il m'en reste plus que trois, je le garde pour moi. » Et amputé du fameux différentiel de gain de 18 à 3%, et remonté avec une voix off différente qui change tout. En effet, dans la semaine, le sujet entier a été tronqué et « resonorisé ». N'oubliant pas que la Française pèse son poids en télé… En 15ème place des annonceurs télé en 2005 avec 56ME investis. A l'arrivée, on obtient un publi-rédactionnel quasi neutre, avec une petite pointe de doute rapidement pulvérisée.

Voici ce qui reste de toute l'affaire : « D'après Monsieur Riblet et comme le pensent également certains buralistes, quand il y a un lot exceptionnel à l'intérieur d'un carnet, il n'y en a qu'un seul et jamais plusieurs… Nous avons interrogé des mathématiciens sur le cas du jeu Vegas. D'après eux, même si 100 ventes forment un échantillon représentatif, la probabilité qu'on en trouve une avec un deuxième lot n'est néanmoins pas nulle. » Tout est dans le « pas nulle »… Par exemple, une sur mille, ce n'est pas nul.

Le journaliste en voix off pose la question qui tue : « Est-ce qu'il peut y avoir plusieurs lots importants dans une même bande ? »

Le Directeur du marketing de la FDJ assure : « Il peut y avoir plusieurs lots importants dans un même livret. »

Et maintenant la voix off finale, qui restera dans la tête des téléspectateurs, et donc des joueurs : « Désormais l'intervention du hasard peut être totale ou seulement prépondérante, mais pour gagner le gros lot ce sera toujours une question de chance. »

Canal censure Riblet


Et ça te fait rire ?

La FDJ essaye d'étouffer l'affaire. On rappelle que le grattage correspond à 40% du CA maison… Dans le reportage, il manque aussi un « sonore » de Gérard Colé, ex-conseiller en image de Tonton, l'homme qui a importé le jeu de grattage des Etats-Unis, qui affirmait, en substance, que « le trésor le plus précieux que peut avoir la Française des Jeux est le lien de confiance avec le joueur ». Petite vacherie en passant…

Buresi, le patron de la FDJ, après avoir vu le reportage mercredi dernier, refusera de témoigner en plateau.

Quant à Riblet, invité de « Nous de sommes pas des anges » en fin de semaine dernière, l'émission de mi-journée de Maïtena Biraben sur Canal, son passage a été tout simplement caviardé. Il est vrai que le chasseur d'injustices avait été un peu loin : venu en plateau avec un carnet, il commence à gratter, et au bout de 17 tickets « misère », il trouve son gagnant à 20 euros. Il distribue alors les tickets restants au public en leur pariant qu'ils ne gagneront rien. Démonstration réussie. Hélas, c'était sans compter sur une responsable de la programmation qui prétextera que la chaîne « court un risque juridique de diffamation »… Une chaîne qui dépend un peu de la pub pour les émissions en clair. L'émission sera réenregistrée et toute la réjouissante scène coupée.

Les coups de ciseaux de la direction devenant une habitude, la Société des Journalistes de M6 a tenu réunion ce lundi 6 février pour savoir s'il faut mettre le feu à la chaîne. Un communiqué a été envoyé à l'AFP, dans lequel la rédaction demande à la direction de rediffuser le reportage dans sa version intégrale, lors de la rediff habituelle du mardi soir.

Il reste encore des utopistes, à Capital.

Publié dans Réalité

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